Communiqué des Allumés du Jazz à propos des changements à Radio France

Publié le 2015-06-08
Temps de lecture : 3 min.
Les Allumés du Jazz

« Liberté d’expression » ! Ces mots ne sauraient être une tournure vide de sens, un habillage vaguement pratique.
 
Or, au travers d’une grève de 28 jours, la plus longue de l’histoire de Radio France, ses personnels nous ont alertés d’une menace sérieuse.
 
Ce n’est pas la première fois que frustrations, contrariétés, sentiments d’injustices naissent des décisions des pouvoirs en charge (renvoi de journalistes et producteurs talentueux, amputations des programmes, érosion de la qualité), mais jamais on n’a senti aussi crûment la mise à bas de cette « liberté d’expression » dont la radio nationale devrait être un tantinet garante ; devrait être expressément garante.
 
On partira ici du principe - sur lequel on insistera - que les musiques naissent libres et égales entre elles.
 
Faut-il rappeler le rôle joué par la RDF, la RTF, l’ORTF, puis Radio France dans la constitution du champ musical en France, de ses recherches, de ses perspectives ?
 
Faut-il rappeler aussi le rayonnement provoqué par la possibilité d’assister à des concerts de grande qualité, gratuitement ou à moindre prix ?
 
Faut-il rappeler, par exemple l’importance considérable de la radio dans la diffusion du jazz en France ? On citera avec insistance les noms de Marjorie Alessandrini, Patrice Antona, Yvan Amar, Jean-Arnaud, José Artur, Jean-Christophe Averty, Jérôme Badini, Henri Bernard, Patrice Bertin, Jacques Bisceglia, Patrice Blanc-Francard, Pierre Bouteiller, Xavier Yvonne et Robert Brédannaz, Brocker, Jean Buzelin, Philippe Carles, Claude Carrière, Daniel Caux, André Clergeat, Sim Copans, Maurice Cullaz, Louis Dandrel, Charles Delaunay, Julien Delli Fiori, Jean Delmas, Henry Devay, Michel de Villers, Jack Diéval, Michel Dubourg, Hervé Dubreuil, Alain Durel, Alex Dutilh, Anne-Marie Duverney, Chris Flicker, André Francis, Maryse Friboulet, Louis Fritsch, Alain Gerber, Jean-Louis Ginibre, Michel Godard, Laurent Goddet, André Hodeir, Henri Hubert, Michel Jules, Philippe Koechlin, Gabriel Lallevée, Daniela Langer, Pierre Lattès, Bruno Letort, Lucien Malson, Jean-Marie Masse, Jean-Robert Masson, Franck Médioni, Arnaud Merlin, Anne Montaron, Raymond Mouly, Claude Muller, Daniel Nevers, Bernard Niquet, Hugues Panassié, Jean-Jacques Patrice, Xavier Prévost, Franz Priolet, Jean-Michel Proust, Auguste Pujolle, Henri Renaud, Jean-Paul Ricard , Marie-Berthe Servier, Jean-Paul Terray, Gérard Tourtrol, André Vasset... La liste n’est pas exhaustive et toutes et tous ont œuvré non seulement à une meilleure connaissance de cette musique, à sa compréhension profonde, mais aussi à sa maturité, à son intégration, à son existence même.  Il ne s’agissait pas de situer le jazz dans ce que la novlangue en cours nomme sans dignité une « niche », mais de le vivre sur la place publique. Plus que jamais, le jazz ne saurait être seul, il vit dans une grande diversité de musiques. Le rôle de la radio est d’en préciser les perspectives, les reliefs, les liens.
 
Les nouveaux décideurs de l’audiovisuel en France se préoccupent d’abord de réaménagement de bureaux de fonction, de voyages en taxis pharaoniques, de Peugeot 508 neuves, d’experts en gestion d’image, puis ensuite d’audimat « toucher un public le plus large possible[1]  » et de rentabilité, notion qui a son absurde lot d’abstractions lorsqu’il s’agit de service public.  Foin de la création, de l’excellence, de l’intelligence.
 
Le changement de la radio, c’est donc maintenant. Il ne s’agit plus de sales petits coups en douce, mais d’une véritable déflagration : avis de 380 licenciements, fermeture du bureau du jazz suivie d’une transformation simulée, annonces de la suppression de France Musique puis son amaigrissement à deux faces (classique et jazz la semaine, « diversité » le week-end), grille des programmes ratatinée, captations de concerts réduites de moitié et suppression des cachets pour les musiciens enregistrés (en invoquant soudainement que France Musique, qui l’a pourtant pratiqué depuis des lustres, ne serait juridiquement pas apte à le faire), mise à l’écart du commentaire (« plus de place à la musique et moins à la musicologie1 »), réduction spectaculaire des moyens de productions au profit de simple passage de musique…
 
Un slogan de France Musique indiquait « la musique un ton au-dessus », un autre de France Inter que la « voix était libre » en nous priant « d’écouter la différence ». À l’heure d’impressionnants changements technologiques, sources logiques de confusion, quand lors des deux dernières décennies, les oracles avisés, futurologues high-tech et autres experts se sont lourdement trompés dans leurs prévisions, il semble bien que cette différence, cette liberté sont les moyens inaliénables pour un service public qui se doit d’être au-dessus des concurrences passagères, qui se doit d’écouter autre chose que les logiques meurtrières de l’uniformité.
 
C’est TOUTE la création musicale dans son ensemble, dans sa diversité, dans sa créativité que nous voulons voir figurer à titre égal et généreux sur les chaînes de la radio publique - France Musique, France Inter, France Culture, FIP, France Bleu, France Info, Mouv - débarrassée de la dictature du divertissement et de ses manipulateurs. Il en va très sérieusement de « la liberté d’expression ».
 
 
 
                                                                                                            Les Allumés du Jazz
 
 

 
1 AFP 26 avril 2014

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