BROKEN HEART (Ref. AJM11)

Lorsqu’on le fait honnêtement, aussi loin que l’on remonte dans l’histoire du jazz, on peut s’apercevoir de la place majeure qu’y occupe la femme. Art vocal par essence et par nécessité, le jazz instrumentalisé ne fait que prolonger l’impérieuse volonté d’expression d’une présence au monde, revendicative d’une reconnaissance.
Or, ce qui frappe à la lecture des très nombreuses "histoires du jazz " publiées à ce jour, c’est la place pour le moins discrète qu’y occupent les musiciennes. Présentes au plan vocal, c’est le seul registre qui leur ouvre les portes du statut de "vedettes" (Bessie Smith, Mahalia Jackson, Billie Holiday, Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan… Quelques unes parmi les rares dont le nom est connu du grand public), phénomène amplifié médiatiquement aujourd’hui
(Diana Krall, Norah Jones).
Il est donc une chose qu’il convient de saluer lorsqu’une musicienne décide de jouer du jazz, c’est son courage. Même si l’important pour elle c’est d’être écoutée et, dans le meilleur des cas, entendue et jugée à l’aune de ses propositions
musicales, non de son sexe.
Sylvia Versini se lance aujourd’hui dans l’aventure avec une belle détermination et beaucoup de talent. Si son travail permet de la situer dans la lignée de ses illustres aînées (Carla Bley, ou plus proche Maria Schneider) on note aussi, ici et là dans son écriture, une vraie mémoire des grands anciens. À savoir, quelques belles couleurs ellingtonniennes (Broken Heart), une certaine rage mingusienne (Triste planète chérie) et quelques fines touches impressionnistes que n’aurait pas désavouées un Gil Evans. Voici donc un authentique premier album où, au-delà de
quelques influences qui déjà s’estompent, émerge l’essentiel : une très sensible et originale
personnalité musicale.