SERIE BLEU INDIGO 26 Février 20111

Publié le 2011-02-21
Temps de lecture : 4 min.
Les Allumés du Jazz


 
musée du quai Branly
222, rue de l'Université
75343 Paris Cedex 07
01 56 61 70 00
www.quaibranly.fr
 
Matana Roberts' Coin Coin (Chapitre 1: Gens de couleur libres)
Samedi 26 février 2011 – 18h
Matana Roberts (saxophone alto), Mazz Swift (violon), Jessica Pavone (alto), Audrey Chen (violoncelle), Jason Ajemian (contrebasse), Tomas Fujiwara (batterie), Gitanjali Jain (chant)
 
Prologue. D’abord émule de Cannonball Adderley, mais farouchement indépendante, formée dans les jam-sessions du New Apartment Lounge de Von Freeman et du Velvet Lounge de Fred Anderson, à Chicago, jeune membre de l’AACM partie pour New York et collaboratrice occasionnelle de groupes de rock novateurs comme Godspeed You Black Emperor ou TV on the Radio, Matana Roberts a créé un cycle d’œuvres et de manœuvres pour déconstruire les catégories de la race, du genre et de la classe, à la suite d’Angela Davis dans les années 70. Son art fermement lyrique est cependant moins évocateur d’une histoire brouillée par tant de tragédies, qu’invocatoire des histoires que les hommes trouvent toujours à (se) raconter pour débrouiller une vie à venir.
Enfant, Matana Roberts a souvent entendu l’histoire de « Marie-Thérèse Coincoin », son ancêtre par alliance. Esclave d’ascendance Éwé – culture de la bande côtière actuellement occupée par le Togo à laquelle le découpage colonial de l’imaginaire, aussi efficace que celui du territoire, a assigné de sulfureuses pratiques de magie et de sorcellerie – Coincoin réussit de son vivant le prodige de racheter sa liberté, puis de fonder une lignée de « gens de couleur libres » et de guérisseurs (thérapeutes, éducateurs, musiciens). Le premier chapitre du « Sound & Blood narrative » sur lequel la saxophoniste continue de travailler n’est pas directement un hommage à cette singulière figure, mais une remémoration des origines louisianaises, près de la Cane River, de sa famille, et un salut adressé à toutes les femmes afro-américaines devenues légendaires à force de résistance. Matana Roberts mène depuis plusieurs années des recherches généalogiques grâce auxquelles elle est remontée jusqu’en 1685, suivant des racines traçantes de toutes parts de l’Atlantique noir, comme pour mieux dire l’expérience afro-américaine du monde moderne, qui est l’expérience d’un monde nécessairement composite. Et elle a organisé ses découvertes en un cycle de dix chapitres auxquels correspondent dix formations (précédés d’un prologue et d’un épilogue en solo), chacune avec leur répertoire spécifique, s’appuyant sur l’ensemble des techniques de jeu et d’improvisation, de construction sonore, mises au point par ses pairs, et sur un composé de notation conventionnelle et de partition graphique. Avec, selon les épisodes, scénographie, costumes, récitations, vidéos : « cette musique est à l’image de tout ce qui est, elle est multi-dimensionnelle : elle est multiple et en plus elle est changeante. Ce qui change, ce sont notamment les éléments qui la constituent et qui dépendent de nous. Tout ce qui vous caractérise est le bienvenu du moment que vous en faites un usage créatif. » Si Mah-tah-nah fait déjà tourner les six premiers moments de son grand œuvre, « Gens de couleur libres », et son saxophone perdu dans les folles pensées d’un quatuor à cordes, est présenté pour la première fois en France.
Épilogue. Derrière trois bougies cylindriques, sous plusieurs couches de vêtements troués et pailletées de poussière de temps, Matana Roberts chante au regard de ses ancêtres dont elle scrute les images qui défilent sur l’écran, dans un désordre surclassant l’ordre. Des photos d’inconnus, de proches, chez eux, au travail, en vacances, seuls avec le monde, des photos d’il y a vingt ou cent ans, des photos où le temps est sous-exposé, est surexposé. Elle chante dans un souffle parcheminé qui éclôt et se fane – un chant d’éphémères. Elle reprend ses respirations comme si ces respirations étaient des objets oubliés. Elle bat les cartes du passé à la vitesse d’une histoire intime et arachnéenne, elle passe en fraude toutes les histoires qu’elle entend dans la musique. Elle écarte les branches, trouve un saxophone autour de son cou, ses phrases soufflées s’affolent comme des aiguilles aimantées et ébranlent les esprits, ébranlent les cœurs. Le cœur est l’aimant. Elle s’élance et joue avec l’attraction terrestre, ou l’attraction céleste, irrésistiblement attirée, aspirée et inspirée. Elle accomplit une cérémonie qui n’a jamais eu lieu. Elle revient chez elle, chez les siens et chez les autres, par le chant.
 
 
 
 
BLEU INDIGO
 
Bleu Indigo, cela pourrait être la couleur associée au blues et au blues people, à la fois une couleur (la septième, la mystérieuse, entre le bleu et le violet), un registre et un sentiment, par extension le Mood Indigo de Duke Ellington, et cela pourrait être la plante des plantations, pour mémoire, laquelle donne cette teinte si particulière que les Yoruba, les Mandé ou les Ibo liaient au blanc afin de s’attirer diverses protections magiques.
Pour la première saison d’une série de concerts consacrée à cet hybride musical né au tournant de l’autre siècle, et s’aventurant dans celui-ci, un programme original et novateur fait la part belle à de jeunes talents venus d’Outre-Atlantique dont les différents projets, pour la plupart inédits en France, ont ceci de commun qu’ils frayent tous de nouvelles voies à la musique créative aujourd’hui. Car cet art musical désormais historique continue d’être légendaire, voire visionnaire. Placées sous l’indéfinissable couleur du bleu indigo, sous son charme aussi, ces sept « jazz sessions » proposent l’équivalent d’un parcours initiatique, retraçant symboliquement les routes empruntées « à l’origine », du Deep South (John Hébert’s Byzantine Monkey, Matana Roberts’ Coin Coin) jusqu’à l’East Coast (Tyshawn Sorey Quartet, Steve Lehman Octet, Farmers by Nature), en passant par le Midwest (Mike Reed’s People, Places & Things, Chicago Underground Duo), et faisant la liaison avec l’espace archipélique de l’Atlantique noir, que ce soit en direction de l’Amérique du Sud (Sao Paulo Underground), de l’Afrique ou de l’Europe (Steve Lehman Octet, Matana Roberts’ Coin Coin).
C’est donc moins le jazz qui « arrive » au musée que le musée qui « part », dans une atmosphère nécessairement chaleureuse permettant l’échange avec les improvisateurs à l’issue des concerts, pour le pays de cocagne d’une musique en liberté(s).
 
Les deux premiers concerts sont toujours observables là: http://liveweb.arte.tv/fr/video/Tyshawn_Sorey_Quartet_au_Musee_du_Quai_Branly/ et http://liveweb.arte.tv/searchEvent.do?method=displayElements&categoryId=11
 

 

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